Vilégiature Édifié au XVIIIe siècle sur le modèle « à l’italienne », en bord de Seine, le château d’Asnières, monument historique, a bénéficié de nombreuses restaurations. Il est ouvert à la visite.
À la différence de Jossigny, le château d’Asnières est celui d’un grand seigneur, le marquis Marc René de Voyer de Paulmy d’Argenson, issu d’une illustre famille, alors maréchal des Camps et Armées du roi, lieutenant général d’Alsace. Cela se traduit dans le faste de cette demeure de plaisance dotée de vastes réceptions et d’une galerie, pièce qui selon Briseux ne se « construit que dans des châteaux considérables ».
C’est en 1750 que ce courtisan proche du roi, grand collectionneur, achète la terre d’Asnières, et demande à Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (1711-1778) de reconstruire le château de 1697, dans un délai très court : les travaux commencent en avril 1750 et son oncle écrit, au 1er octobre, que 200 ouvriers y travaillent pour que la maison soit finie avant l’hiver. En même temps, le marquis de Voyer agrandit la propriété jusqu’à la Seine. Cette construction est une vitrine car il ambitionne alors de remplacer M. de Vandières, futur marquis de Marigny, comme directeur des Bâtiments auprès de Louis XV. Il fait appel aux plus grands artistes : Nicolas Pineau et son fils Dominique pour les décors, Guillaume II Coustou pour les sculptures extérieures, Jean-Baptiste-Marie Pierre pour les peintures du salon. On trouve aussi les Brunetti qui réalisent des niches en grisaille dans l’ancienne antichambre de la marquise au premier étage.
Sa situation est une des plus belles des bords de la Seine, que l’on passe sur un bac. Le château, construit à la Romaine, appartenait autrefois à M. le comte d’Argenson, ministre, secrétaire d’État. Le parc, contenant 50 arpens, renferme une belle futaie et offre de très belles promenades, particulièrement sur le bord de la Seine qui en fait la limite dans sa plus grande longueur, et d’où les points de vue sont infiniment agréables.
Jacques Oudiette Dictionnaire topographique des environs de Paris (1821)
Le château domine un vaste site, loti depuis, le long de la vallée de la Seine. Sa situation est conforme aux recommandations de Blondel pour les maisons de campagne : « sur une éminence d’où l’on puisse découvrir le plus grand nombre d’objets qu’il sera possible, sans que néanmoins elle soit trop en prise au vent du Nord. » Le château est dit « à l’italienne » car, selon le même auteur, lorsque des couvertures d’un château sont « si peu apparentes qu’il semble que leurs bâtiments soient couverts en terrasse », c’est « ce qu’on appelle à Paris bâtir à l’italienne ».
À l’origine, l’accès, beaucoup plus majestueux, se faisait depuis l’ouest par une longue avenue de plus de 500 mètres, plantée de chaque côté de quatre rangs d’arbres, et conduisant à une avant-cour et une cour donnant sur l’aile nord. Là se trouvait le vaste vestibule de plan hexagonal, aujourd’hui détruit. L’entrée actuelle, placée sur la façade arrière, a perdu toute sa magnificence : elle donne directement sur l’escalier.
Contrairement aux modèles de Blondel ou de Briseux, qui répartissent symétriquement les pièces entre les deux façades, toutes les salles importantes du rez-de-chaussée – antichambre, salle à manger, salon, galerie – sont tournées vers le jardin au sud. Cette façade est animée d’un important avant-corps qui rassemble l’essentiel de la décoration : refends au rez-de-chaussée, pilastres corinthiens à l’étage et surtout groupes sculptés dus à Guillaume II Coustou : Vénus désarmant l’amour et Apollon et le Génie des arts. Au sommet, le courtisan avait fait placer un buste de Louis XV encadré de trophées et, au-dessous, son propre monogramme.
Le grand salon et la galerie, aujourd’hui bien vides, abritaient une partie de la collection du marquis, « l’un des plus grands collectionneurs du XVIIIe siècle », tableaux des écoles du Nord, sculptures en marbre, meubles en marqueterie Boulle, porcelaines, céladons, bronzes. Les lambris de la galerie, dus à Nicolas Pineau et récemment remontés, sont relativement sobres, sans doute pour servir d’écrin aux œuvres exposées.
Ils étaient plus riches dans le grand salon qui n’a conservé que sa corniche ondulante représentant des scènes de chasse.
Dans la salle à manger, le décor architecturé en marbre et faux marbre à entablement est dû à Charles de Wailly (1730-1798), alors jeune architecte, l’un des artisans du néoclassicisme. Contrairement au principe de commodité, quelque peu malmené, cette pièce était très éloignée des cuisines au bout de l’aile nord. Il est vrai qu’il s’agit de la maison d’un grand seigneur avec une nombreuse domesticité comme l’atteste la présence d’une « antichambre du commun ». Le service de la salle à manger pouvait se faire à partir d’un corridor passant derrière le grand salon.
L’escalier principal est de dimensions relativement réduites. Le motif des panneaux en ferronnerie est actuellement très pauvre, sans doute parce que les éléments « de relevure » (c’est-à-dire en tôle) du décor ont disparu. Les grands vides actuels devaient être peuplés de fleurons, d’agrafes, de rinceaux dorés lui conférant plus de dignité.
À l’étage, la chambre la plus soignée était celle de la marquise de Voyer, née du Mailly. Elle se trouvait dans l’aile nord au-dessus du vestibule dans la partie actuellement détruite. Le décor et le mobilier en avaient été conçus par Nicolas Pineau dont on connaît le projet par un dessin : son plan se signalait par sa forme quadrangulaire aux angles arrondis. Seule subsiste son antichambre, à l’angle sud-ouest, où le décor en trompe-l’œil des Brunetti a été redécouvert et restauré. Par ailleurs, à l’étage, on dénombrait six chambres sans antichambre distribuées par un corridor partiel et un escalier de service. On ignore quelle était l’affectation de la grande pièce au-dessus du salon. La chambre du marquis se trouvait au rez-de-chaussée, derrière la galerie.
Le jardin d’agrément, si l’on en croit un plan de 1755, s’étendait entre le château et la Seine. Il n’était pas achevé à cette date, et conservait encore une partie en friche et un « ancien potager », le nouveau potager se trouvant dans un espace plus éloigné du château, à l’abri du regard des hôtes.
Deux parterres de broderie au dessin rocaille se trouvaient sous une terrasse dans l’axe du grand salon, comme le veut la tradition. De chaque côté, deux boulingrins « figure renfoncée, couverte d’un beau gazon bien uni et bien verd » permettaient en été de « se coucher sur les glacis de son renfoncement ». Plus loin, à l’est, se déployait un vaste quinconce. Selon la carte d’État-major des environs de Paris des années 1820 et la description d’Oudiette, ce jardin régulier a été complètement réorganisé en parc paysager avant cette date.
L’absence d’écuries s’explique par la proximité des haras royaux que le marquis de Voyer, directeur de cet établissement, fait construire à partir de 1752. Leur ampleur provoque la chute du marquis, victime des intrigues de son ennemie, la marquise de Pompadour ; il démissionne en 1763 et vend les haras au roi l’année suivante. En 1769, il vend le château d’Asnières qu’il remplace par le lointain château des Ormes hérité de son père et achevé par Wailly. Dès lors une douzaine de propriétaires se succèdent à Asnières, dont une institution scolaire à la fin du XIXe siècle.
C’est en 1992 que la commune devient propriétaire du château et le restaure progressivement.
Texte : Roselyne Bussière, conservatrice honoraire du patrimoine
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Éditions Lieux dits, collection « Patrimoines d'Île-de-France », 256 pages, 300 illustrations, 32 euros.