Villégiature Au début du XVIIIe siècle, à Châtillon, un banquier amoureux conçoit la Folie Desmares pour son amante. Aujourd'hui monument historique, abritant la Maison du patrimoine, le site est ouvert au public. La publication « Châteaux, villas et folies. Villégiature en Île-de-France » (éditions Lieux Dits) présente son histoire et son architecture.
La Folie Desmares n’a pas été construite mais transformée par son amant pour les beaux yeux de l’actrice Charlotte Desmares. En 1708 le banquier suisse Antoine Hogguer achète à Claude Ballon, maître de danse, et à son épouse Marie Dufort, une propriété de cinq hectares dans laquelle se trouve une maison « que les vendeurs ont fait construire à neuf » après 1705, à la place d’une petite maison. Le banquier, qui demeure alors rue du Temple à Paris, fait considérablement transformer cette demeure pour sa maîtresse, avant de la vendre en 1715 à François de Ravière.
« La situation de ce village sur une éminence est l’une des plus belles des environs de Paris. L’air y est pur, sain, et les maisons de campagne jouissent d’une vue charmante »
Charles Oudiette, « Dictionnaire topographique des environs de Paris », 1821
En sept années, si le décor de la maison a été embelli, il ne semble pas que son architecture ait été vraiment révolutionnée. À ce jour, aucune archive ne permet d’attribuer cette transformation à un architecte. Deux noms apparaissent, François Debias-Aubry (ca. 1680-1755) et Alexandre Le Blond (1679-1719). Le premier est cité parce que le banquier fera appel à lui en 1724 pour la construction de son hôtel parisien mais son activité connue est postérieure à 1718. Quant au second, il a construit la Folie Regnault, juste à côté et à la même époque.
Mais Dézallier d’Argenville ne lui attribue que le jardin de la Folie Desmares. La demeure évoque plus un hôtel particulier que les « petites maisons » isolées qui fleuriront au cours du XVIIIe siècle et créeront une typologie particulière de la maison de plaisance. L’accès se fait par un portail inséré dans une demi-lune ouvrant sur une cour bordée de chaque côté de deux longues ailes qui se déploient depuis la rue. La maison se dresse au fond de la cour. La façade d’entrée plutôt austère comporte cinq travées pour un étage carré et un important étage de comble sous une charpente à longs pans brisés. L’axe central est marqué par la porte cintrée surmontée d’un fronton, peu élevé reposant sur des pierres en refends. La façade sur jardin est plus souriante grâce à la présence d’un balcon soutenu par des colonnes ioniques.
Au rez-de-chaussée, en 1708, se succédaient un vestibule, une salle à manger et trois petits salons, et à l’étage quatre « pièces de plain-pied » et un cabinet. L’étage de comble comportait sept chambres et un grenier. Cette distribution a été conservée, ainsi que le grand escalier, à main gauche, et sa belle rampe de serrurerie à panneaux et pilastres. Mais il manquait à cette maison de plaisance des pièces de réception importantes et le banquier s’est attaché à les aménager, dans un mélange de dépenses fastueuses et d’économies. Sur l’aile droite, en rez-de-chaussée, est ajoutée « une superbe et vaste galerie, éclairée par six croisées, entre lesquelles sont de superbes tables de marbre et de belles glaces ». Sur le mur qui fait face aux fenêtres alternaient des statues de Diane et de Vénus et deux grands tableaux de chasse peints par Alexandre François Desportes dont c’était la spécialité.
Dans l’autre aile, la chambre de l’actrice de forme octogonale donnait sur le jardin. Elle disposait d’un joli cabinet de bains « précédé d’une autre pièce dont la boiserie est chargée d’arabesques agréablement peintes et dont toutes les figures de femmes offrent le portrait de la Desmares ». Un escalier dérobé conduisait à une chambre à l’étage. La salle de billard se trouvait juste à côté, donc à la place de l’un des trois petits salons.
Les jardins, probablement l’œuvre de l’architecte Alexandre Le Blond, étaient dans la tradition des jardins réguliers. Rien n’y manquait pour l’agrément de la vue : terrasse, belvédère, parterres de broderie dans l’axe de la façade, bassin dans leur prolongement. Pour l’agrément de la promenade, de longs cheminements sous les charmilles, des rangs de marronniers, des rampes en pente douce. Enfin pour produire et consommer, les serres, l’orangerie, le verger, la glacière, le potager. C’est en réalité la mise en pratique, avant la lettre, du traité de Le Blond La théorie et la pratique du jardinage dont la première édition date de 1709.
La Folie a changé rapidement et fréquemment de propriétaires pendant tout le XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, elle servit de pension puis de refuge pour « les filles repenties », d’où d’importantes modifications dans le décor. Acquise par la commune en 1984, abritant la Maison du patrimoine, elle est en cours de restauration.
Texte : Roselyne Bussière, conservatrice honoraire du patrimoine
En savoir plus
« Châteaux, villas et folies. Villégiature en Île-de-France »
Cet ouvrage, où l’on croise Bellanger, Guimard, Mallet-Stevens, s’appuie sur un corpus de 1 700 maisons, du XVIIIe au XXe siècles. Découvrez un florilège inédit de maisons de plaisance franciliennes.
« De tous les Français, le bourgeois de Paris est le plus champêtre », nous dit en 1841 L’Encyclopédie morale du XIXe siècle. La quête de bon air, dans une capitale densément peuplée, conduit les Parisiens de toutes conditions à se construire des maisons dans la campagne alentour dès le XVIe siècle, imitant la pratique aristocratique d’un partage de l’année entre saison mondaine en ville et beaux jours au vert.
Du château de Champs-sur-Marne (77) au Désert de Retz (78), de la maison Caillebotte à Yerres (91) à la villa Savoye de Poissy (78), du chalet au cabanon, en passant par tous les styles architecturaux, l’Île-de-France s’est couverte de maisons de villégiature, non seulement autour de ses sites les plus enchanteurs, boucles de la Seine, bords de Marne, forêts de Saint-Germain ou de Fontainebleau, mais finalement partout où il était possible de trouver belle vue et bonne compagnie.
Cet ouvrage présente un territoire inattendu en matière de villégiature, l’Île-de-France, dont la richesse des paysages et la fantaisie des architectures estivales n’ont rien à envier à Trouville ou à la Riviera. La banlieue elle-même apparaît sous un jour nouveau, comme l’ultime avatar de havres de paix campagnards et populaires.
Éditions Lieux dits, collection « Patrimoines d'Île-de-France », 256 pages, 300 illustrations, 32 euros.