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Avant les Jeux olympiques et paralympiques. En savoir plus

Rencontre Pascal Boireau est directeur du laboratoire de santé animale de Maisons-Alfort – ANSES et coordonnateur scientifique du DIM 1health. Il nous explique le fonctionnement de ce Domaine d’intérêt majeur soutenu par la Région Île-de-France. Et apporte un éclairage scientifique sur la pandémie de Covid-19. Entretien.

Tout d’abord, quel est le projet scientifique du DIM 1health ? 

Pascal Boireau : Le DIM 1health soutient la recherche et le développement en infectiologie, en s'appuyant sur le concept « Un monde, une médecine, une santé ». Il mobilise une communauté interdisciplinaire mobilisée autour de cette problématique de santé globale. Le DIM se fonde sur la triade « santé environnementale, humaine et animale », qui sont des domaines indissociables compte tenu de leurs étroites interactions. Il a également pour socle le triangle de la connaissance « recherche, innovation, éducation », qui est moteur dans la création d’entreprises et d’emplois. L’Île-de-France regroupe, de façon unique, des scientifiques impliqués dans tous ces domaines.

Le DIM 1health en ligne

Pour tout savoir de ce Domaine d'intérêt majeur de recherche régional, et tout connaître de son actualité, ses projets..., rendez-vous sur : www.dim1health.com.

Quels sont les domaines de recherche liés au DIM 1health ?

P. B. : Depuis sa création fin 2016, ce projet scientifique s’attache à soutenir les recherches qui mettent en lien les perturbations environnementales au sens général et les émergences d’agents pathogènes. L’Homme, en modifiant profondément les écosystèmes, est un acteur de ces émergences. Il y a aussi le constat que les maladies infectieuses coûtent à l’humanité, elles sont une réalité du présent. Ces maladies sont provoquées par des bactéries, des virus, des parasites, des champignons ou encore des prions. Enjeu majeur de santé à l’échelle planétaire, elles sont la cause de 23% des décès chaque année dans le monde. Or moins de 40 nouvelles molécules ont été découvertes depuis 50 ans pour lutter contre ces maladies infectieuses, alors que les maladies humaines chroniques ont bénéficié de 1.480 nouveaux médicaments. Partant de cette carence, le DIM 1health se mobilise pour identifier de nouvelles voies thérapeutiques et prophylactiques pour lutter contre les maladies infectieuses. de façon plus globale. 

Comment fonctionne le DIM 1health ?

P. B. : Il ne s’agit pas d’un réseau formalisé. C’est une petite structure de coordination soutenue par 12 partenaires académiques –établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), universités, agences – ou du secteur économique – Syndicat de l’industrie du médicament, entreprises pharmaceutiques, etc. Il s’agit donc d’un réseau potentiel de plusieurs milliers de techniciens, ingénieurs chercheurs qui travaillent en Île-de-France dans ce domaine. Le DIM offre un soutien à la recherche en infectiologie via des appels à projets évalués par un conseil scientifique [voir la liste sur le site du DIM 1health] et des évaluateurs externes en vue de bénéficier du soutien financier de la Région Île-de-France. Un conseil d'administration, constitué des directions ou présidences d’institutions ou universités, valide le travail du conseil scientifique. En 3 ans, le DIM 1health a organisé 8 appels à projets pour des doctorants, post-doctorants ou des investissements. Plus d’une dizaine de colloques a aussi été soutenue, ainsi que 26 contrats doctoraux/post-doctoraux. Enfin, une cinquantaine d’équipements scientifiques a pu être achetée, dont 8 d’envergure internationale.

Qu’est-ce qu’un DIM ?

Les Domaines d’intérêt majeur (DIM) d'Île-de-France fédèrent, autour de domaines de recherche à fort potentiel, des réseaux de laboratoires, universités, LABEX et partenaires socio-économiques situés sur le territoire francilien.

Définis et financés par la Région, les DIM sont au nombre de 13 pour la période 2017-2020.

Découvrez-les.

De quelle façon le DIM 1health est-il impliqué dans la recherche sur les coronavirus ?

P. B. : Dès 2017, le DIM 1health  a contribué à soutenir la recherche sur les coronavirus, puisque c’est une famille virale au sein de laquelle de nombreuses émergences zoonotiques sont survenues. Un soutien pour une formation doctorale a également été attribué en 2018 sur la recherche d’anti-coronavirus en analysant leur interaction avec les cyclophilines cellulaires. En 3 ans, le DIM 1health a financé de nombreuses plateformes en infectiologie, en Île-de-France. Certaines d’entre elles sont utiles pour les recherches sur le Covid-19, aujourd’hui pour disséquer la réponse immunitaire de l’hôte, connaissance indispensable pour construire un vaccin anti-coronavirus à terme. 

Comment les équipes mobilisées au sein du DIM travaillent-elles sur le Covid-19 ?

P. B. : Le DIM 1health a adapté ses appels d’offres à l’émergence brutale du Covid-19. Un budget a été réservé pour les recherches sur le SARS-CoV-2. Grâce au soutien très fort de la Région Île-de-France, nous avons mobilisé 1 million d’euros pour le Projet Discovery. Ce programme européen vise à évaluer 4 traitements expérimentaux contre le Covid-19. Coordonné par l’Inserm dans le cadre du consortium Reacting, il a démarré le 24 mars 2020 et inclut au moins 800 patients français atteints de formes sévères du Covid-19. Ces essais concernaient initialement le Centre d’investigation clinique de l’hôpital Bichat. Ils s’étendent maintenant à celui de la Pitié-Salpêtrière, du Kremlin-Bicêtre et d’autres centres franciliens. 

Aujourd’hui, où en est la recherche sur les coronavirus ?

P. B. : Les coronavirus (CoVs) sont des virus provoquant des maladies graves chez l’Homme et les animaux. Dans les années 1980-1990, des chercheurs ont identifié les protéines principales responsables de l’attachement des virus animaux aux cellules de leurs hôtes. Puis, dans les années 1990-2000, les récepteurs aux coronavirus animaux des cellules hôtes ont été identifiés avec les premiers génomes entièrement séquencés. Après 2000, nous avons assisté à des émergences majeures chez l’Homme avec le SARS-CoV, le MERS-CoV, puis aujourd’hui le SARS-CoV-2, qui sont le fruit de transmissions interspécifiques entre la faune sauvage et l’Homme. D'autres émergences de coronavirus, de moindre envergure, ont été rapportées entre 2004 et 2006, avec des indications sur les atteintes profondes des poumons de certains patients. Dès cette époque, le risque lié aux transports aériens était déjà fortement souligné. 

De quelle façon le Covid-19 s’est-il propagé à l’homme ? 

P. B. : Comment ce virus SARS-CoV-2 est apparu demeure une énigme. Il n’y a pas de publication permettant de conclure à une transmission directe d’un animal, comme l’une des 5 espèces animales sauvages ayant un coronavirus proche : le pangolin, la civette, le vison et 3 espèces de chauves-souris. Pour bien comprendre cette absence de réponse claire, il faut analyser la structure du virus Covid-19. Il apparaît qu’une partie de ce coronavirus présente une forte identité avec une séquence homologue du coronavirus du pangolin. Mais le reste du génome du SARS-CoV-2 est plus proche du génome des coronavirus de certaines chauves-souris que du coronavirus du pangolin. D’où l’impossibilité de conclure formellement à l’heure actuelle. Il manque un maillon dans la chaîne de transmission qui n’est pas identifié. Enfin, les analyses prédictives bio-informatiques n’ont pas identifié cette séquence chez les pangolins comme ayant une forte affinité pour un récepteur cellulaire humain, ce qui exclut toute manipulation humaine comme origine de ce virus. 

Les chauves-souris seraient donc hors de cause ?

P. B. : En général, les chauves-souris ne transmettent pas directement leurs virus à l’homme. Par ailleurs, les chauves-souris incriminées en Chine nichent dans la province du Yunnan, très éloignée de Wuhan. Et il n’existe que quelques espèces, dans la grande biodiversité des chauves-souris, qui hébergent de tels virus. Chez celles-ci, on  trouve des coronavirus ayant 96% d’identité avec le SARS-CoV-2 et le SARS-CoV. Il est donc possible d’estimer que le réservoir « lointain » est chez ces chauves-souris. Mais il est nécessaire qu’un hôte intermédiaire (mammifère), ou plusieurs, vienne « présenter » le virus à l’Homme. Les contacts entre ces animaux infectés et l’Homme sont à l’origine de l’émergence du Covid-19. Mais on ne les connaît pas actuellement. Ensuite, quand le virus a émergé, il s’est multiplié chez l’Homme et est devenu transmissible d’Homme à Homme. Dès lors, c’est l’activité humaine qui est à l’origine de sa diffusion mondiale. Il est presque possible de dire que le virus n’est plus responsable à ce stade. Les transports aériens expliquent parfaitement la pandémie actuelle. Des modèles mathématiques indiquent qu’un arrêt des transports 1 semaine avant la déclaration officielle de l’épidémie de Wuhan aurait épargné deux tiers des cas. 

En quoi le Covid-19 est-il différent du SRAS et du MERS ?

P. B. : Bien que le SARS-CoV-2 appartienne au même genre de bétacoronavirus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) – c'est-à-dire respectivement SARS-CoV et MERS-CoV –, ce nouveau virus semble être lié à des infections moins dramatiques. Le SRAS et le MERS étaient principalement associés à la propagation nosocomiale, tandis que le SARS-CoV-2 est plus largement répandu dans la communauté. Les génomes du SARS-CoV-2 et du SARS-CoV sont proches avec 79,5% d’identité et 6 segments divergents. Le génome du SARS-CoV-2 et plus éloigné de celui du MERS (50% identité). Pour le SARS-CoV, la mortalité était de près de 10% avec un syndrome respiratoire profond et entéritique. Pour le SARS-CoV-2, les formes entéritiques existent aussi avec des atteintes de l’odorat et du goût fréquemment rapportées. Le taux de mortalité est non connu actuellement, mais certainement inférieur à 1%. 

Confinement C3 pour manipuler des virus comme l’agent du Covid-19 -

Le mode de transmission du Covid-19 a-t-il une spécificité par rapport aux autre virus ?

P. B. : Le SRAS-CoV-2 est transmis principalement par les gouttelettes respiratoires, des suspensions aéroportées sur quelques mètres dans certaines conditions, le contact et la voie potentielle oro-fécale. La réplication virale primaire se produit dans l'épithélium muqueux du haut des voies respiratoires – cavité nasale et pharynx –, avec une multiplication supplémentaire dans les voies respiratoires inférieures et la muqueuse gastro-intestinale, induisant une légère virémie. Certains patients, en Chine notamment, ont également présenté des symptômes non respiratoires tels que des atteintes hépatiques et cardiaques aiguës, une insuffisance rénale, un syndrome entérique (diarrhée), impliquant plusieurs organes.

Quelle est la durée d’incubation ?

P. B. : Les coronavirus ont un cycle viral d’une douzaine d’heures au moins. Donc le temps d’avoir une charge virale importante, expliquant les signes cliniques, nécessite une incubation de quelques jours – en moyenne 4 à 5 jours en fonction de la charge infectieuse initiale.

Combien de temps les malades sont-ils contagieux ?

P. B. : Plutôt que de « malade », nous parlerons de « personne infectée ». Le coronavirus est éliminé en général en moins de 2 semaines. La réaction immunitaire de l’hôte entraîne une maîtrise de la multiplication virale. Néanmoins, il y a une certaine excrétion virale de la part de patients en incubation ou ayant guéri cliniquement au-delà de ces 2 semaines. 

Comment se traduit l’infection chez les patients atteints par le Covid-19

P. B. : Les SRAS-CoV et SRAS-CoV-2 ciblent, dans leur formes graves, principalement les poumons, les organes immunitaires et les petits vaisseaux sanguins systémiques ; ils provoquent une vascularite systémique et une diminution des fonctions immunitaires. L'infection peut entraîner des dommages alvéolaires entraînant une détresse respiratoire, avec des images radiographiques caractéristiques. Dans la majorité des cas, des formes anodines (atteintes des voies respiratoires supérieures) ou inapparentes surviennent.

Pourquoi le Covid-19 s’est-il répandu si rapidement à travers le monde ?

P. B. : Le SRAS, apparu le 27 novembre 2002 dans la province du Guandong, en Chine, a été lentement diagnostiqué, avec une déclaration en février 2003 par le gouvernement chinois. Cela a conduit à la contamination de 26 pays et 6 continents. Le nombre de cas cumulés a été de 8.096 pour 774 morts. Pour le MERS, détecté en 2012, le nombre de cas a été de 2.260 avec un taux de mortalité élevé de l’ordre de 34%. Avec le Covid-19, tout a pourtant été beaucoup plus vite, avec l’identification du virus et la mise en place de tests de diagnostics directs en moins d’un mois. Cette pandémie brutale et massive s’explique par une transmission humaine rapide, un nombre de cas initiaux sous-estimé, et un retard dans la mise en place des mesures « barrières », y compris en milieu hospitalier sous-équipé en habits de protection. Résultat, 68% du personnel soignant a été contaminé lors du premier mois de l’épidémie à Wuhan. Les transports aériens ont été bloqués après l’installation de différents nœuds épidémiques. Il est à noter que l’index de reproduction de la maladie (R0) a été estimé de façon très variable selon les publications et oscille entre 2-3% (France) et 5% (Espagne), ce qui entraîne des impacts très différents d’une région à l’autre du monde.  

Faut-il s’inquiéter d’une possible mutation du virus ?

P. B. : Les premières séquences génomiques initiales de SRAS-CoV-2, obtenues à partir des dizaines de patients Covid-19, ont été très semblables quelles que soient les parties du monde. Elles présentent plus de 99,98% d'identité de séquences. Aucun événement de recombinaison évident n’est signalé à ce jour. La surveillance continue du SRAS-CoV-2 chez l'homme et l'animal apparaît extrêmement importante pour la gestion du Covid-19 dans le temps. 

Selon vous, quelle part de la population mondiale sera touchée par le Covid-19?

P. B. : Aujourd’hui, toute la population mondiale est potentiellement exposée et sensible à ce nouveau virus. Les freins à ce virus sont de 2 ordres : la gestion des barrières individuelles de protection – incluant l’utilisation des antiviraux si des molécules sont finalement identifiées pour bloquer le virus –, et le « pathobiome », ce concept également intégré dans les travaux du DIM 1health souligne l’interaction positive ou négative entre agents pathogènes et microbiote. Tous les pays ne sont pas soumis à la même pression d’agents infectieux ou parasitaires. Il sera important d’analyser l’impact des pathologies intercurrentes sévissant dans différents pays comme en Afrique, Inde, Amérique latine et Asie (Chine). Par ailleurs et dans le même ordre d’idée, quelques publications indiquent le potentiel impact positif de la vaccination par le BCG. Le vaccin d’Albert Calmette et Camille Guérin offre une large protection contre les infections respiratoires. Les pays n’ayant pas de politiques de vaccination par le BCG – Italie, Pays-Bas et États-Unis – ont été plus gravement atteints que d’autres par le Covid-19, selon une première analyse. Le BCG semble mieux protéger la population âgée. 

Le Covid-19 finira-t-il par disparaître ?

P. B. : Oui, le Covid-19 au sens de « maladie » va disparaître. C’est le cas dans de nombreuses provinces en Chine par exemple, où un retour progressif à la normale est constaté. Dire que le SRAS-CoV-2 va disparaître est une autre histoire. Des rebonds peuvent survenir au gré des transports aériens ou autres qui reprendront. Les maladies infectieuses s’estompent et disparaissent quand suffisamment de barrières sont mises devant le virus. Lorsque 70-80 % de la population sont immunisés, ou que les barrières physiques sont suffisamment efficaces, la maladie disparaît et l’agent pathogène est éradiqué, s’il n’y a pas un réservoir autre que l’Homme. Or nous savons que le réservoir animal existe. Aussi, l’éradication risque d’être complexe. Dans l’après-crise Covid-19, il sera important d’entreprendre les efforts nécessaires pour lutter efficacement par anticipation contre les maladies infectieuses humaines et animales. Le coût de la prévention est toujours plus faible que celui des soins en pleine crise sanitaire et post-crise. D’autres agents infectieux vectorisés sont présents et disséminent déjà. La lutte ne s’arrêtera pas au Covid-19, qui est un nouveau chapitre dans la longue histoire des maladies infectieuses et parasitaires.  

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