Villégiature Édifiée en 1925 par l’architecte Albert Laprade, marquée par le style Art déco et inspirée de l’architecture marocaine dont ce dernier était familier, cette villa frappe par son originalité. Au cœur d’un parc ouvert au public, elle ouvre également ses portes lors de manifestations culturelles. Découvrez son histoire.
Moulin Fidel, qui doit son nom à un ancien moulin à vent dont on trouve mention encore en 1833, rivalise avec les folies du XVIIIe siècle. Un plan très original, un grand architecte, Albert Laprade (1883-1978), de retour du Maroc, un riche commanditaire, collectionneur et mécène, le docteur Boucard, qui fréquente de nombreux artistes, tout évoque les riches financiers de l’Ancien Régime.
Pour l’architecte, salutaire sera son contact avec le Maroc. D’abord il deviendra économe (qualité à l’ordre du jour) en appréciant la valeur des murs blancs, des murs tout blancs sans sculptures, sans moulures, sans étalage de vaine science […]. L’architecte trouvera là « un matériau » nouveau : la faïence, les « zelliges », pavages de faïence, exquises symphonies en vert et blanc.
Albert Laprade Les influences possibles du Maroc sur l’Art français, France Maroc, 1917
Pierre Boucard (1875-1967) est un médecin qui a fait fortune grâce à l’invention en 1908 du Lactéol. En 1912, il achète une grande propriété au Plessis-Robinson dénommée « Jolie Vue », qui se trouve sur le coteau, dominant le val d’Aulnay d’une centaine de mètres. La tour flatte son désir d’originalité et il projette d’emblée de l’aménager, comme le montrent les premières études de l’architecte Laprade, qui dessine trois pièces superposées, dont la dernière comportait un escalier d’accès à une terrasse panoramique qui sera plus tard couverte. Le reste des constructions est voué à la destruction.
Après un long séjour au Maroc pendant lequel il a travaillé à Casablanca et à Rabat, Laprade rentre en France en 1919. Les liens avec Boucard n’ont pas été coupés puisqu’il travaille à la transformation de l’immeuble 30, rue Singer à Passy, que l’industriel vient d’acheter pour y installer le siège de l’entreprise et ses bureaux. Par ailleurs, il présente de multiples projets pour le Moulin Fidel.
C’est en 1925 que la maison de villégiature est construite, sur un parti d’une très grande originalité ; le séjour de Laprade au Maroc, son étude de l’habitat et sa participation à la réalisation de la résidence générale de Rabat, ainsi que les goûts originaux du commanditaire, ont donné naissance à un édifice singulier. Alors que seule la tour existait auparavant, la façade blanche se présente comme un agrégat de modules de taille et de formes diverses, comme s’il s’agissait d’une architecture vernaculaire agrandie au fil des besoins.
Oubliées les grandes façades monumentales et les imposants escaliers dont les grands prix de Rome sont friands. La tour reste un édifice à part, relié au reste du bâtiment par un simple passage au premier étage.
Au rez-de-chaussée, une salle de bains, couverte de mosaïques de faïence turquoise et dorée, avec sa baignoire percée dans le sol et un petit jet d’eau, évoque les bains mauresques. Au-dessus, on accède par un escalier étroit à trois pièces intimes et à la salle panoramique, ouverte sur le paysage par de larges baies horizontales.
La seule grande salle de l’ensemble se trouve à l’autre extrémité de la maison : c’est le salon, tourné vers l’est et largement ouvert sur une loggia aux colonnes tronconiques sans base et à chapiteau dorique, c’est-à-dire le modèle le plus simple.
C’est dans cette grande pièce carrelée de bleu et or que vivait le docteur au milieu de ses collections, comme le montre une photographie ancienne. L’office et la cuisine se trouvaient derrière. Un petit salon donnant sur une loggia à deux colonnes, tournée vers le sud-est, permettait de profiter de la vue sur un jardin mauresque avec un bassin rectangulaire.
Entre la tour et la grande salle (surélevée d’un étage ultérieurement), se trouve l’entrée, plutôt discrète, flanquée d’un vestibule éclairé par quatre baies en plein cintre. Puis vient la saillie de la petite tour d’escalier qui dessert l’étage, éclairé de larges baies à petits carreaux. Comme dans l’architecture méditerranéenne, les toitures sont à peine visibles.
La demeure se trouvait dans un vaste parc avec son potager, son orangerie, ses serres, son chenil et son poulailler. Elle comportait aussi un gymnase, transformé par les propriétaires suivants en centre d’études. En effet, après avoir été malmené pendant la Seconde Guerre mondiale, le Moulin Fidel est acquis par André et Yvonne Chauvin, dirigeants de la société YAC. Ils redécorent l’intérieur selon le goût des années cinquante. La municipalité leur achète la propriété en 1989 et l’utilise pour des manifestations culturelles.
Texte : Roselyne Bussière, conservatrice honoraire du patrimoine
« Châteaux, villas et folies. Villégiature en Île-de-France »
Cet ouvrage, où l’on croise Bellanger, Guimard, Mallet-Stevens, s’appuie sur un corpus de 1 700 maisons, du XVIIIe au XXe siècles. Découvrez un florilège inédit de maisons de plaisance franciliennes.
« De tous les Français, le bourgeois de Paris est le plus champêtre », nous dit en 1841 L’Encyclopédie morale du XIXe siècle. La quête de bon air, dans une capitale densément peuplée, conduit les Parisiens de toutes conditions à se construire des maisons dans la campagne alentour dès le XVIe siècle, imitant la pratique aristocratique d’un partage de l’année entre saison mondaine en ville et beaux jours au vert.
Du château de Champs-sur-Marne (77) au Désert de Retz (78), de la maison Caillebotte à Yerres (91) à la villa Savoye de Poissy (78), du chalet au cabanon, en passant par tous les styles architecturaux, l’Île-de-France s’est couverte de maisons de villégiature, non seulement autour de ses sites les plus enchanteurs, boucles de la Seine, bords de Marne, forêts de Saint-Germain ou de Fontainebleau, mais finalement partout où il était possible de trouver belle vue et bonne compagnie.
Cet ouvrage présente un territoire inattendu en matière de villégiature, l’Île-de-France, dont la richesse des paysages et la fantaisie des architectures estivales n’ont rien à envier à Trouville ou à la Riviera. La banlieue elle-même apparaît sous un jour nouveau, comme l’ultime avatar de havres de paix campagnards et populaires.
Éditions Lieux dits, collection « Patrimoines d'Île-de-France », 256 pages, 300 illustrations, 32 euros.